ALI
Une modernité est inscrite en nous, en moi. Elle est notre époque. Je la vis le mieux possible, suffisamment relié à ce que je suis et aspire à devenir. Cette modernité peut être tonifiante, vivifiante, mais elle peut aussi écraser et faire souffrir.
Cette modernité et ses influences bousculent tous et tout, y compris dans l’acte de calligraphier.
L’hypermodernité dont parle Gilles Lipovetsky se traduit dans des dimensions inédites : hyper-consommation, hyper-connexion, hyper-tensions, hyper-narcissisme, Etc. accompagnées de ses effets d’isolement, de stress, d’effondrement des modèles historiques, de replis idéologiques… (Gilles Lipovetsky, (avec Sébastien Charles), Des temps hypermodernes, Paris, Grasset, 2004)
Nous vivons donc une époque de bouleversements enthousiasmants pour certains et inquiétants pour beaucoup.
J’ai deux métiers, ou disons plutôt deux passions, très reliés à ces bouleversements. Mon premier est d’intervenir avec les personnes, les groupes, les communautés afin de diminuer les tensions, violences et crises qu’ils peuvent traverser, et leur permettre en recréant des conditions plus favorables de trouver des réponses nouvelles à leurs difficultés et défis. Et mon second, est la calligraphie arabe, ou plutôt islamique, comme une anti-chambre de mon premier métier, lieu de repos de l’âme, de paix et de relation au Divin, au beau, à l’harmonieux. Dans l’histoire de la calligraphie arabe et islamique, ce double exercice, entre un métier, une fonction sociale spécifique et la pratique assidue de la calligraphie, est très courant.
C’est une douceur pour mon âme que de donner sens à ma spiritualité à travers mes calligraphies. Et je la souhaite vivante, dynamique, organique. Ma pratique de la calligraphie a renouvelé cet élan. Spiritualité et calligraphie se nourrissent et se répondent.
La calligraphie islamique est intemporelle, comme l’a valorisée son inscription ce mardi 14 décembre 2021 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. ce qui ne veut pas dire qu'elle est indifférente aux contextes.
Je reconnais et m’inspire du travail des maitres calligraphes, de mes illustres prédécesseurs et de la tradition calligraphique présente partout à travers le monde. Ce « patrimoine vivant », est « un héritage de nos ancêtres que nous transmettons à nos descendants », définit l’UNESCO.
Je n’ai pas réalisé un cursus auprès de maitres en calligraphie traditionnelle et ne dispose pas d’ijazah (autorisation délivrée par des autorités dans un domaine particulier, après un apprentissage méthodique et valorisant une chaine de transmetteurs, en islam).
Cette dimension et cette relation à des maitres instructeurs peut me manquer et j’entrevois la joie que pourrait m’apporter de réaliser ce « voyage à la recherche de la connaissance ».
Je sais profondément que ma calligraphie est la forme aboutie de mon côté artiste, dans un dialogue fécond avec ma spiritualité. Ces deux dimensions ont toujours fait partie de mon être, mais n’avaient jamais pu être reliées, alignées, d’une si belle manière.
Mes calligraphies racontent une naissance, un regard, une vision, un souffle, une adoration, une méditation, mais aussi une autorisation à la fois affirmée et fragile, tel le trait d’encre qui apparait sous la pression du calame.
La calligraphie est un vecteur étonnamment puissant pour à la fois accéder aux cœurs des personnes, à leurs sensibilités, mais aussi les fédérer, les faire se rencontrer. Les publics qui y sont sensibles sont particulièrement variés. J’ai autour de moi une démonstration incroyable de ses effets.
Il y a celles et ceux qui y voient des écritures, des mots, un graphisme, d’autres ont accès à l’esthétique ou la technique de l’œuvre, là où d’autres encore reçoivent une calligraphie telle une vérité du cœur, un message sensible, une bénédiction de l’âme. Et toutes et tous sont les bienvenus avec leurs regards.
Mes calligraphies sont l’expression de mon expérience spirituelle et correspondent à cette même expérience faite par d’autres, musulmans ou non.